Discours de présentation par Jean Yves PENNEC
ARTISTE @ HOME 4
MAUD BOULET
Dans la maison de Pierre CRAMPON, que baigne une lumière généreuse, Maud BOULET s’est trouvée à son aise pour faire de celle-ci l’écrin idéal allant accueillir les pièces précieuses qu’elle a disposé à l’attention des visiteurs.
La grande affaire de Maud BOULET c’est le dessin et comme elle le dit si bien : « Il y a dans le dessin ce regard particulier, cette transformation des choses par l’œil et la main, l’œil accueille l’image du monde et la main en produit une nouvelle, interprète à sa manière son environnement. »
C’est le point de rencontre entre l’oeil et la main.
Voir , pour Maud qui est née avec un défaut de la rétine a toujours signifié associer le toucher à la vue, et c’est ce double regard de ses yeux et de ses mains qui donne une grande singularité à son travail.
Pour parler des grands formats qu’elle a mis sur les murs, des constructions hybrides mêlant le règne végétal et l’organique dans un raffinement du trait et une extrême délicatesse des ombres caressées par son crayon, elle a recours au vocabulaire du tactile. Elle dit le piquant, le soyeux, le rêche , le mou le gluant. Ce sont les sensations qui ont guidé les plongées vertigineuses improvisées par son dessin sur le papier.
Dans ces univers fictifs qui nous rappellent tant l’ambiance caractéristique de la gravure virtuose, l’œil déambule, explore, fouille, fasciné par le réseau complexe des matières changeantes auxquelles donnent corps des touches infimes que préciserait une bonne loupe.
Sur une table, cinq petits bas-reliefs qu’elle appelle « Indices » font comme une invite à ne pas manquer le rendez-vous quotidien que nous donne le vivant dans ses formes les plus humbles tout autour de nous. Des fragments réels de nature : Feuille, fleur, graines, engagent un dialogue magique avec le poème dessiné que lui invente Maud BOULET.
Jean Yves PENNEC 9 Octobre 2021
ARTISTE @ HOME 4
YVES DOARE
Dans l’appartement de Line et Patrick CHAPEL , Yves DOARE a honoré jusqu’au bout l’invitation de ses hôtes à accrocher huiles et gouaches jusque dans les chambres. Si les œuvres qui témoignent de sa fascination pour les postures du corps, son poids de chair et les échanges parfois violents auxquels il se livre dans la rencontre de l’autre, restent bien présentes dans la galerie que nous propose l’artiste, il faut noter la venue en force du paysage dans les préoccupations du peintre.
Cette attention nouvelle à la forme végétale du vivant a singulièrement modifié la palette de ses couleurs. Je serais tenté de dire qu’aujourd’hui chez Yves DOARE : « Y’a d’la joie ! ». Et le goût qu’il a pris de l’arbre qu’il soit isolé ou le plus souvent en bosquet va même jusqu’à le peindre en gourmandise. En effet, les teintes acidulées de ses compositions, la fraicheur délicieuse des couleurs choisies, la forme même de ses feuillus ou conifères nous introduisent presque plus à l’étal d’une confiserie aux alléchantes sucettes qu’au seuil d’un bois.
Quelques grands formats, parfois présentés sur toile libre, reprennent ce thème classique du paysage dans l’histoire de l’art, ou alors explorent une autre direction au travers d’une série à laquelle il continue de travailler et dont le titre dit beaucoup : « Assemblage/Expansion ».
Deux moments dialectiques qui continuent de nourrir la permanente réflexion de l’artiste.
Yves DOARE, parvenu à ce point de son long parcours de créateur, après l’important virage opéré dans son travail, qui a marqué son retour à la peinture après tant d’années consacrées à lagravure confie avoir maintenant acquis la certitude que la couleur dessine.
Jean Yves PENNEC 9 Octobre 2021
ARTISTE @ HOME 4
Flora MADIC
Une petite vidéo dans la buanderie, coincée entre les produits d’entretien de la maison de Pierre et Florence MAGNANON nous délivre un autoportrait sincère et drôle de Flora MADIC, celui-ci s’achève pas le diagnostic sans appel d’un cardiologue : « Vous êtes Paléolithique ».
Il est vrai que Flora a suivi une formation poussée d’anthropologue et cette discipline qui s’attache à l’étude de l’homme en société dans tous ses aspects continue de travailler l’artiste qu’elle est devenue.
Si depuis une dizaine d’année, cette vocation artistique s’est épanouie au fil de marches, de randonnées ponctuées de collecte de végétaux, de terres prélevées en divers endroits du monde, elle a choisi pour sa première exposition qui honore Cactus, de nous livrer un travail de peinture qui s’inspire de l’origine de l’art et des temps paléolithiques.
La référence centrale de l’ensemble des œuvres qu’elle expose est la représentation d’une vulve de femme dessinée au centre d’un bestiaire, sur une paroi de la grotte CHAUVET.
Au moyen de terres plus ou moins rendues stériles par l’exploitation de l’homme, du sang des abattoir en provenance d’animaux asservis et sacrifiés, elle réinvente les pigments et les liants de la grande aventure de la peinture qui s’est trop souvent acharnée à en exclure la femme en qualité de créatrice.
Au travers des variations de la série qu’elle décline se profile un triangle qui se superpose à celui du sexe de ses Eves et qui relie en trois points les axes forts de sa recherche :
- La femme et son combat nécessaire
- La terre que l’homme abîme
- L’art qu’elle s’est donné pour arme
Si vous vous approchez de ses toiles, vous y découvrirez la discrète signature de Flora : l’empreinte de sa main, pareille à celle des premiers artistes, il y si longtemps, dans le secret des grottes.
Jean Yves PENNEC 9 Octobre 2021
ARTISTE @ HOME 4
Pascal PERENNEC
Chez Danielle KERVAHU, dans le quartier de Penhars, il vous faudra prendre place dans la voiture aux vitres un peu embuées de Pascal PERENNEC, et vous hasarder avec lui en un road moovie dans l’extrême Ouest que ponctuent, étape par étape, les superbes images photographiques qui racontent ses voyages.
Le territoire qui intéresse Pascal PERENNEC c’est celui qu’il arpente lors de virées totalement improvisées, abandonné aux bifurcations qu’il choisit sans but précis au gré des routes. Les « prises de vues » qu’il réalise lorsqu’il coupe le moteur, peut-être pour mieux laisser la musique de Radio Head envahir l’habitacle, se font sans sortir de la voiture à travers la vitre du pare-brise.
Ce promeneur solitaire nous entraine dans la mélancolie de ses rêveries où très souvent, la route conduit le regard.
Sur les bas-côtés, des maisons, des habitations aux profils singuliers que leur dessinent les hautes et larges cheminées du pays, saupoudrées d’une lumière parcimonieuse qui les révèle silencieusement dans le contre-jour d’un flou suspendu.
C’est ici que des hommes et des femmes viennent pour la nuit chercher refuge.
C’est ici que Pascal PERENNEC tire le portrait de leurs maisons qui ressemblent à la sienne, dans un faux noir et blanc où la couleur rare se diffuse encore, avant que le jour ne se lève ou que ne tombe la nuit.
Sans doute faut-il voir dans ces images que l’horizon partage en deux moitiés, à travers leur ciels chargés, leurs routes mouillées, le miroir d’un paysage intérieur que Pascal PERENNEC apprivoise en ces instants dorénavant capturés, de présence absolue aux lieux, que son parcours improbable lui a révélés.
Jean Yves PENNEC 9 Octobre 2021
ARTISTE @ HOME 4
Jacques VILLEGLE
Dans l’ancienne et surprenante maison d’Emmanuelle et Daniel LOGET Jacques VILLEGLE, figure incontestée de l’histoire de l’art depuis la seconde moitié du vingtième siècle, a tout orchestré depuis son atelier parisien de la mise en place des œuvres pour cette exposition à caractère rétrospectif dans sa ville de naissance.
Deux décollages d’affiches marouflés sur toile témoignent de la grande période des affiches, où dans un mouvement partagé avec les artistes du Nouveau Réalisme, il s’approprie un élément éphémère du monde réel pour l’exposer dans les galeries.
Fragiles marqueurs d’une époque rapportés de la rue, ces panneaux de papier entretiennent un brouillage de signes entremêlant fragments d’images et de textes, dans un tressage fortement coloré. Traces fragiles de messages publicitaires, politiques ou culturels arrachés, aux murs du temps et de l’histoire.
Les autres œuvres qu’il a choisi de nous apporter font valoir dans différentes compositions son intérêt pour les signes de l’écrit ; c’est le second volet de sa production artistique. En effet, dans l’esprit du graffiti, il a constitué un alphabet socio-politique où le A sera entouré d’un cercle, tel le symbole de l’anarchie, ou le S muni des deux barres verticales du Dollar.
Ce nouvel outillage graphique va lui permettre une multitude de déclinaisons, où le déchiffrage du message se révèle dans une dimension esthétique incontestable.
Sur vingt-quatre ardoises d’écoliers à l’aide de son alphabet socio-politique, il a retranscrit les aphorismes et pensées d’artistes ou poètes qui lui sont chers, ou encore de nombreuses considérations réflexives sur la singularité de sa pratique artistique.
Une dernière œuvre témoigne de ses recherches récentes autour de la cryptographie c’est-à-dire la science qui s’intéresse à toutes les écritures secrètement codées.
Jean Yves PENNEC 9 Octobre 2021
OPENFIELD 4
Anne DA SILVA
Depuis l’enfance, Anne DA SILVA s’est sentie attirée par la nature et a développé une relation très forte avec son caractère sauvage, convaincue d’une parenté mystérieuse qu’elle s’efforce aujourd’hui d’explorer par son travail d’artiste.
Son approche empirique affective des mondes du vivant : animal, végétal , l’amène à marcher observer, cueillir, collecter, puis , dans le retrait de l’atelier se livrer à des gestes d’artisan, que sont couture, tannerie, cuisson, tissage.
Car c’est dans l’action, dans le Faire que peut se révéler ce que ses matériaux, qu’elle emprunte à la nature, qu’ils soient arêtes et peaux de poisson, brindilles ou bouquets de feuillage, contiennent d’invisible et qu’elle désire faire apparaitre.
Ainsi vous pourrez vous attarder sur un Herbier- Relique dans la petite salle où d’humbles fragments de végétaux plongés dans un grès liquide et passés à la cuisson d’un four, témoignent dans leur forme minéralisée d’une existence modeste qui fut.
Anne DA SILVA a bien écouté la parole du philosophe Paul RICOEUR : « N’oublions jamais que nous avons la responsabilité du fragile ».
Cette fragilité qui est aussi la marque indubitable de la condition humaine nous incite à penser les nécessités écologiques si terriblement actuelles.
A sa façon, Anne DA SILVA s’inscrit dans une belle continuité de l’histoire de l’art, que ce soit avec cette installation murale que l’on peut regarder comme un ensemble de vanités ou encore au travers des petites sculptures qu’elle a réalisées en associant différents éléments empruntés aux animaux : Os, Arêtes, Cornes, Boyaux, Coquillages, Plumes ou Ecailles, pour inventer des chimères insolites qui pourraient devenir les trésors d’un cabinet de curiosité imaginaire.
Jean Yves PENNEC 9 Octobre 2021
OPENFIELD 4
Alexandra DUPREZ
Dans la grande salle de Kerguinou, Alexandra DUPREZ, s’est jouée de la nature double du grand mur de droite, en partie haute en pierres apparentes et recouvert d’un enduit à la chaux pour sa partie basse. Elle a osé un accrochage original pour l’essentiel proche du sol. Elle y a placé 10 œuvres où le bleu domine. On y retrouve son univers singulier symboliste, faussement naïf, très économe dans ses moyens, restreint dans son vocabulaire, et bien mystérieux pour ce qui est de son interprétation.
Si, comme elle le dit, la figure humaine occupe le centre de son travail, c’est souvent l’étrangeté de sa représentation qui frappe : un petit format réalisé sur le revers d’une couverture de livre fait voir un personnage de profil qui se trouve potentiellement équipé d’une collection de bras et mains ; l’ensemble dessinant comme l’empreinte d’un doigt trempé de bleu. Dans quatre autres dessins, deux personnages bicolores se rejoignent par les mains. Un autre semble diriger vers la terre une multitude de bras comme échappés de son corps. Un autre encore à la silhouette bleue, tend à un buste noir deux paires de bras, dont l’une s’est greffée sur les jambes. Des Humains donc, qui se trouvent parfois augmentés d’autres fois morcelés.
Dans les grands formats, souvent , la présence obsédante d’une forêt d’yeux. On serait tentés de penser qu’Alexandra fait ici « des yeux et des mains » pour évoquer tout le mystère de notre présence ici-bas .
Faire avec les mains, Voir avec les yeux.
Peut-être Faire Voir l’invisible circulation qui relie les unes aux autres chez l’artiste au travail, seulement guidée par l’intuition que lui suggère l’association des images.
Celle-ci donnera à chaque œuvre, une fois achevée, une teneur poétique nouvelle très jumelle de son étrangeté.
Jean Yves PENNEC 9 Octobre 2021
OPENFIELD 4
Michel GODEAU
Michel GODEAU qui a opté pour l’intimité de la petite salle pour mettre en place ses photographies, avait exposé il y maintenant dix années dans la galerie ATKINOS de Quimper. Le titre qu’il avait donné à celle-ci en disait long déjà sur l’étroite relation de ce photographe avec l’écriture et la poésie. Ce titre était : « Notes entendues à l’ombre des feuilles ».
Pour cet artiste, photographier, c’est habiter le monde poétiquement.
Les images qu’il a choisies sont extraites de la grande exposition que lui a consacrée cet été le Centre Européen d’Art et d’Histoire de CONQUES.
Michel GODEAU utilise avec virtuosité et patience les poses longues pour obtenir ses images, apparitions au caractère souvent fantastique qu’il associe en diptyque ou triptyque, nous laissant le soin de faire émerger en nous les fines passerelles de sens qui les relient. Je ne résiste pas au plaisir de partager avec vous ce très beau texte de Michel, qui ouvre , tel un miroir de mots le regard à la puissance de ses images.
Il écrit :
« Ce sont de profondes forêts, des gorges où suinte le temps, au fond desquelles des eaux noires raclent des pierres coupantes dont les atomes détachés iront en aval reconstruire le monde.
Ce sont poussières et pollens anciens, désagrégés de la matière que filtre de la lumière , incendie d’or et de pourpre au premier rayon du jour.
C’est le souvenir des visages et des corps sur une terre aimable, le partage des bontés, l’assemblée amicale des vivants. Ce sont des chambres d’amour dans l’impermanence du temps et des choses, la joie et l’effroi d’être au monde. »
Jean Yves PENNEC 9 Octobre 2021
OPENFIELD 4
Thierry LE SAEC
Chercher, creuser, sont les deux maitres-mots de la démarche de Thierry LE SAEC.
Et pour se faire, il se donne la possibilité d’avoir recours à toutes les techniques qu’il possède en profodeur : Dessin, Peinture, Gravure, Collage, Empreinte, et depuis peu, les outils nouveaux que procure l’avènement du numérique.
Dans la grande salle de Kerguinou, il nous offre un ensemble de bouquets d’été, peintures fraîches toute réalisées au cours de la saison dernière.
Thierry LE SAEC fait confiance au processus de la série, concentrant dans un même mouvement, muni des mêmes outils, la pulsion créative qui improvise les variations d’une même famille d’œuvres. Ici cinq formats 50x60 déclinent sur un fond blanc des groupes disparates de taches de couleur, sortes de pièces aux contours arrondis d’un puzzle qui jouent à cache-cache avec le papier calque qui les révèle par sa découpe, ou module leur intimité par le recouvrement. Ce sont bien sûr des fleurs et des feuilles dont chaque bouquet possède sa partition singulière, et matérialise le fruit de la méditation active à laquelle s’est livré l’artiste, faisant belle place dans le moment de la création aux accidents du geste, aux frottements des teintes et empreintes dans la mixité des techniques.
Le tout se prête à une lecture poétique et musicale, et surtout ouvre le champ du dialogue, vivement souhaité par Thierry, avec le visiteur autour de la magie des signes retenus par le papier.
Sur le grand socle de la salle, c’est un autre versant du travail imposant de Thierry LE SAEC que vous pourrez découvrir, puis qu’il y a rassemblé une sélection des très nombreux livres d’artiste qu’il a réalisés en étroite complicité et souvent en amitié avec les plus grands noms de la poésie et de la littérature française actuelle.
Thierry vous invitera à tourner doucement les pages de ses livres rares, qui rassemblent deux univers de créateurs en un même objet précieux.
Jean Yves PENNEC 9 Octobre 2021
OPENFIELD 4
Bernard PESCHET
Afin de tenir son journal de voyage dans le monde de l’art, sous forme de notes dessinées, Bernard PESCHET a choisi d’établir un certain nombre de règles dans sa pratique, fidèle à un scrupuleux sens de l’économie et de l’épure. Les carnets qui constitueront le support de ses dessins sont de sa fabrication ; leurs couvertures sont récupérées dans les emballages cartonnés de boissons ou de produits alimentaires. Son seul outil est le stylo bille de base , et son sujet toujours le même : L’art surtout celui produit par ses contemporains qu’il va découvrir au fil des expositions ou manifestations qu’il visite.
Invité par Cactus à Kerguinou, il a opté pour deux propositions qui proviennent directement de l’exploitation des archives rigoureusement ordonnées de ses petits carnets. Agrandissant des copies des pages retenues dans ceux-ci, il nous propose de déchiffrer une longue frise qui se déroule sur la partie basse du mur de gauche, à la manière d’une affiche collée sur le mur, en absolu respect du niveau. Elle rassemble les dessins croqués chez les artistes exposés par Cactus depuis quatre années en divers lieux, divers moments. Sur le grand panneau du fond de la salle, un quadrillage en quasi damier fait voir les croquis réalisés au cours des expositions de Cactus.
Merci Bernard pour ces créations spécialement adressées à l’association, et qui fonctionnent ici à la façon d’un miroir amical et suggère une belle mise en abîme.
Un dernier mot pour parler du dessin de Bernard : La pointe Bic de Bernard est sortie. Elle hésite et virevolte , légère dans l’air au-dessus de la feuille, son trait affleure, cherche, caresse, interroge avec pudeur et modestie , s’interrompt, puis retourne au sujet un peu mieux assurée, insiste, redouble les traits, presque souligne, écrit maintenant la date, le nom du lieu celui de l’artiste et finit par se poser dans le capuchon noir d’où il l’avait sortie ; mission accomplie.
Jean Yves PENNEC 9 Octobre 2021
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